Page:Poe - Contes grotesques trad. Émile Hennequin, 1882.djvu/101

Cette page a été validée par deux contributeurs.

parallèles. Cette cravate donnait à l’étranger, (quoique, j’ose le dire, sans intention aucune) l’air d’un ecclésiastique. En vérité, plusieurs autres points, soit de sa mise, soit de ses manières, auraient pu servir à confirmer cette idée. Au-dessus de son oreille gauche, il portait, comme les clercs d’aujourd’hui, un instrument pareil au stilus des anciens. De la poche de son habit, sortait un petit livre noir, garni de fermoirs en acier, et tourné, accidentellement ou non, de façon à montrer les mots Rituel catholique, imprimés en lettres blanches sur son dos. La physionomie de l’intrus était saturnine, d’une pâleur intéressante et même cadavérique. Le front était haut, ravine par les rides de la méditation. Les coins des lèvres s’abaissaient en une expression d’humilité très-soumise. Il eut aussi une façon de joindre les mains, quand il s’avança vers notre philosophe, un soupir et un regard d’une telle onction, qu’on n’aurait pu se défendre de lui faire bon accueil.

Toute trace de colère disparut de la physionomie de Bon-Bon, et, ayant terminé à sa satisfaction l’examen de l’inconnu, il lui serra cordialement la main et le conduisit à un siège.

On se tromperait cependant en attribuant le changement à vue qui s’était produit dans les dispositions du philosophe, à quelque cause commune. En vérité, Pierre Bon-Bon, d’après ce que j’ai pu apprendre sur son compte, était de tous les hommes le moins capable de s’en laisser imposer par une apparence spécieuse. Un observateur aussi exact que lui des hommes et des choses, n’avait pu manquer de découvrir du premier coup la