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LIVRE I.

En fuyant le trépas, au trépas arriver :
Et celui qui chétif aux misères succombe,
Sans vouloir autre bien que celui de la tombe,
N’ayant qu’un jour à vivre, il ne peut l’achever[1] !

Que d’hommes fortunés en leur âge première,
Trompés de l’inconstance à nos ans coutumière[2],
Du depuis se sont vus en étrange langueur ;
Qui fussent morts contents, si le ciel amiable,
Ne les abusant pas en ton sein variable,
Au temps de leur repos eût coupé ta longueur !

Quiconque du plaisir a son ame assouvie,
Plein d’honneur et de bien, non sujet à l’envie,
Sans jamais en son aise un malaise éprouver,
S’il demande à ses jours davantage de terme,
Que fait-il, ignorant, qu’attendre de pied ferme
De voir à son beau temps un orage arriver ?

Et moi, si de mes jours l’importune durée
Ne m’eût en vieillissant la cervelle empirée,
Ne devois-je être sage, et me ressouvenir
D’avoir vu la lumière aux aveugles rendue,
Rebailler aux muets la parole perdue,
Et faire dans les corps les ames revenir

  1. Voilà trois beaux vers, surtout le dernier qui est divin. A. Chénier.
  2. Je regrette beaucoup ce mot-là, surtout après l’usage qu’en a fait Corneille dans Polyeucte :

    « Et mes yeux éclairés des célestes lumières
    Ne trouvent plus aux siens leurs graces coutumières.  »

    A. Chénier.