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répondre au gentilhomme que lui envoya la reine-mère : « Dites à la reine que je ne puis me revancher de sa bonté qu’en priant Dieu que le roi pleure sa mort aussi vieux que je pleure celle de ma mère. » Il avait alors plus de cinquante-huit ans. Lorsqu’on lui parlait de prendre le deuil : « Je suis en propos de n’en rien faire, disait-il, car regardez le gentil orphelin que je ferais. » Il le prit pourtant. Je raconte à regret ce triste bon mot. Après de pareilles anecdotes on éprouve le besoin de relire dans les Harmonies poétiques la pathétique élégie qui a pour titre : Le tombeau d’une mère.

Malherbe n’avait guère l’instinct de la famille. Sa femme lui survécut de quelques années. Nulle part dans ses vers il n’est parlé de sa femme. Loin de là, toutes les anecdotes que nous avons rapportées décèlent dans sa manière d’être les habitudes d’une vie solitaire. Il ne semble pas qu’il ait jamais eu besoin d’une douce compagne qui tremblât à l’idée de le savoir damné, comme l’humble femme de Jean Racine ; ou comme le curé de campagne, d’une bonne sœur qui l’empêche de tout donner aux pauvres, et qui l’aide à vivre comme tout le monde ; ou, si sa rêverie va aussi loin que celle de La Fontaine, d’une aimable La Sablière qui ait presque autant d’attention pour lui que pour son chat. Malherbe, après tout, aimait sa famille. À la mort de son fils, sa douleur fut éclatante et désespérée.

Ce fils se nommait Marc-Antoine. C’était un jeune homme de mérite et dont les vers avaient du feu. Il avait alors vingt-neuf ans, et était conseiller au parlement d’Aix. Pour que ce père souffrît ce qu’il regardait comme une dérogation à sa noblesse, il avait fallu lui prouver que M. de Foix, archevêque de Toulouse, et allié à tous les souverains de l’Europe, était conseiller au parlement de Paris. Le jeune homme fut tué en duel. Tallemant dit qu’il périt assassiné dans une querelle. Malherbe voulut se battre contre le meurtrier ; et comme Balzac lui représentait que de Piles n’avait pas vingt-