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Mais, ce qu’il y a de piquant, c’est qu’entre le poète et le roi, la postérité semble avoir décidé en faveur du roi.

À quelques jours de là, Bellegarde eut son tour : il s’avisa un beau matin d’envoyer demander à Malherbe quel était le meilleur de dépensé ou de dépendu. « Dépensé est plus français, répondit-il, mais pendu et ses composés vont beaucoup mieux aux Gascons. »

Il ne s’épargnait pas lui-même dans ses critiques. Lorsqu’il lisait à ses amis quelque production imparfaite de sa jeunesse : « Ici, disait-il, je ronsardisais. » Mademoiselle de Gournay reprochait plus tard à Racan de malherbiser. Le maître ne voulait pas cependant qu’on s’autorisât toujours de son exemple, et un jour que Racan le citait lui-même : « Eh bien ! dit-il, si je fais une sottise, est-il juste que vous en fassiez une autre ! »

Cette verve mordante de Malherbe ne se bornait pas à ses amis. Henri IV étant venu un jour lui montrer tout triomphant la première lettre que le dauphin lui eût écrite, Malherbe, qui cependant aimait assez ses enfants pour comprendre la joie d’Henri IV, se contenta de demander si le prince avait nom Loys, car c’était ainsi qu’il avait signé. Il lui fallut désormais signer Louis, et notre homme allait disant partout que si le roi se nommait Louis XIII, c’était à lui qu’on le devait.

Voyez un peu jusqu’où le menait ce dévouement à la bonne langue. Si quelque pauvre lui disait : Mon noble gentilhomme, au lieu de mettre plus vite la main à sa poche : « Si je suis gentilhomme, je suis noble, » répondait-il brusquement, et il continuait son chemin, croyant sans doute que sa leçon pouvait passer pour une aumône.

Sa justice était quelquefois peu obligeante. Un président ayant fait placer au-dessus de sa cheminée je ne sais quelle sotte devise : « Que vous en semble ? » dit-il