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dents de Henri IV, Malherbe s’écrie avec une sainte colère :

Que direz-vous, races futures ? etc.

et son ode, répétée par toute la France, où elle ajoute encore à l’indignation publique, s’en va dans Château-Thierry éveiller le génie de La Fontaine. Le Bonhomme, en l’écoutant, se crut un moment poète lyrique : Il pensa me gâter, écrivait-il plus tard ; puis il retournait à ses fables.

Malherbe avait de piquants procédés de composition. Vous savez la charmante élégie qui commence par ce vers :

Que d’épines, amour, accompagnent les roses !

Je vais peut-être vous la gâter. Mais voici ce qu’à ce sujet les contemporains ont raconté. Racan entra un matin chez son maître et le trouva qui comptait cinquante sous. Il mettait ensemble dix sous, puis dix, puis cinq, puis dix encore, et encore dix et cinq encore. « Qu’est ceci ? dit Racan étonné. — C’est, dit Malherbe, que j’avais certaine stance dans la tête, où il y a deux grands vers et un petit, puis deux alexandrins encore et un autre demi-vers. » Et le bonhomme traçait tout simplement le plan stratégique de sa stance. Je ne m’étonne plus que Balzac ait dit quelque part que Malherbe traitait les affaires du gérondif et du participe comme celles de deux puissants peuples.

On demandait un jour à Malherbe pourquoi il ne faisait pas d’élégies. — « C’est, répondit-il, que je fais des odes. » S’il se fût arrêté là, la réponse était d’un critique et d’un poète. Mais il ajouta par malheur : « Et on doit croire que qui saute bien pourra bien marcher. » Ceci n’est plus que ridicule. La critique véritable ne reconnaît pas d’hiérarchie parmi les genres, et croit à la fatalité des vocations spéciales.

Toutes ces anecdotes expliquent à merveille le caractère du talent de Malherbe, et font admirablement com-