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ce mot quelque chose de mieux qu’une boutade ; il y a le sentiment profond de l’originalité individuelle ; et qu’on ne s’y trompe pas, Malherbe a bien aussi son originalité comme écrivain. Elle est, si on le compare aux poètes qui l’ont précédé, dans la clarté de son langage. Il était arrivé à cette pureté de l’expression à force d’étude et de labeur. « Quand on a fait cent vers et deux feuilles de prose, disait-il, il faut se reposer dix ans. » On raconte qu’il employa une demi-rame de papier à corriger une seule stance. C’est celle qui commence par ce vers :

Comme en cueillant une guirlande, etc.

Il lui arriva certain jour qu’ayant composé une ode pour consoler le président de Verdun de la mort de sa femme, lorsqu’il lui porta son ode, il le trouva remarié. Le président était un homme grave et qui avait religieusement attendu la fin de son deuil. Mais le poète avait mis trois ans à faire son ode. Certes, ce n’est pas nous qui prêcherons aux poètes le mépris des longues veilles ; nous savons tout ce que le style emprunte à la correction de grace élégante et de durable fermeté. Mais à côté, mais avant l’art qui achève l’œuvre, il y a, surtout dans la poésie lyrique, l’inspiration qui la produit d’un jet libre et spontané. L’art, c’est le héros barbare qui, pour le rendre plus fort, plonge dans l’eau glacée du fleuve l’enfant qui vient de naître ; l’inspiration, c’est la mère qui l’enfante dans un moment de sublime douleur.

Malherbe composait rarement. Il fallait, pour l’arracher à sa paresse, quelque grande et tragique aventure. Louis XIII s’apprête-t-il à partir pour La Rochelle, Malherbe aussitôt se souvenant qu’il a été ligueur, trouvera dans son humeur guerrière ces fermes et héroïques strophes qui sont dans toutes les mémoires. Le couteau d’un misérable s’est-il brisé sur les