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L’expédient plut à Malherbe, qui le mit aussitôt en œuvre, et le lendemain, jour assez froid, ayant quelque part rencontré son disciple, du plus loin qu’il l’aperçut : « Ah ! mon ami, s’écria-t-il, j’en ai jusqu’à l’L ! » Il se chargeait aussi de chemisettes ; puis il mettait sur sa fenêtre quelques aunes de frise verte, et disait : « Il m’est avis que ce froid s’imagine que je n’ai plus assez de frise pour faire encore des chemisettes ; je lui montrerai bien que si. » Et quand le froid devenait trop vif, il ôtait du feu avec colère ses chenets, surmontés de satyres barbus, en disant : « Voyez un peu ces gros joufflus qui se chauffent là tout à leur aise, tandis que je meurs de froid ! »

Quels étaient maintenant les bienheureux disciples admis à ces conférences que chaque jour Malherbe tenait dans sa petite chambre ? Plusieurs d’entre eux échangèrent depuis l’humble chaise qu’ils y occupaient contre le fauteuil de l’Académie.

C’était d’abord un jeune page que Malherbe trouva chez le duc de Bellegarde, où il se mêlait de rimailler, Honorat de Beuil, marquis de Racan, né en 1589 sur un rocher de Touraine, dont le souvenir le fit une fois grand poète.

C’était le peintre Dumoutier, le même, je crois, à qui nous devons tant de portraits historiques.

C’était Yvrande, gentilhomme breton, page de la grande-écurie, dont la renommée tout entière est restée ensevelie dans le recueil des ana du temps.

C’était encore de Touvant, qui n’était pas grand’chose, disent les Mémoires, mais que Malherbe jugeait propre à la poésie.

Il ne faut pas oublier Colomby, un Normand, parent de Malherbe, qui recevait tous les ans douze cents écus pour exercer la charge singulière d’orateur du roi pour les affaires d’État. N’oublions pas surtout Maynard, esprit facile et délicat, dont les sonnets, pour avoir de la grace, ne valent pas toutefois de longs poèmes.