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d’ordinaire une pauvre chambre assez mal meublée. Le nombre des chaises était petit ; lorsqu’elles étaient toutes occupées et qu’il survenait un visiteur : « Attendez, criait-il sans ouvrir la porte, il n’y a plus de chaises ! » Ainsi délabré, ce petit logis lui plaisait. « Pour l’hiver, écrivait-il à Racan, je suis d’avis que nous le passions à Paris, c’est un lieu où toutes choses me rient. Mon quartier, ma rue, mon voisinage, m’y appellent et m’y proposent un repos que je ne pense point trouver ailleurs. » Sa manière de vivre répondait à merveille à tout cela. Rien de plus frugal que son ordinaire. Patrix lui étant arrivé un soir à l’heure du souper : « Monsieur, lui dit-il, j’ai toujours eu de quoi dîner, jamais de quoi rien laisser au plat. » Un autre jour il avait invité sept de ses amis ; il leur fit servir sept chapons bouillis, parce que, les aimant tous également, il ne voulait pas, disait-il, servir à l’un la cuisse, à l’autre l’aile.

S’il lui arrivait de souper de jour, il faisait fermer les volets et allumer les bougies : « Autrement, disait-il, je croirais dîner deux fois. » Il avait pris à son service un valet auquel il donnait dix sous par jour et vingt écus de gage ; lui arrivait-il de le prendre en faute, il lui disait : « Mon ami, offenser son maître, c’est offenser Dieu ; et quand on offense Dieu il faut, pour en obtenir pardon, jeûner et faire l’aumône. C’est pourquoi je retiendrai cinq sous sur votre dépense, que je donnerai aux pauvres à votre intention pour l’expiation de vos péchés. » Ses habitudes avaient la même originalité. « Le froid, disait-il, est pour les pauvres et les sots ; » et comme il n’était ni l’un ni l’autre, il s’affublait d’une telle quantité de paires de bas que, pour ne pas en mettre à une jambe plus qu’à l’autre, à chaque bas qu’il chaussait il jetait un jeton dans une écuelle. Racan, l’ayant un jour surpris à cette besogne, lui conseilla de placer à ses bas une lettre de soie de couleur différente, et de se chausser par ordre alphabétique.