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LIVRE II


Poussés de nos mauvais-destins,
Ont assouvi leurs félonies,
Par quels faits d’armes valeureux,
Plus que nul autre aventureux,
N’as-tu mis ta gloire en estime,
Et déclaré ta passion
Contre l’espoir illégitime
De la rebelle ambition ?

Tel que d’un effort difficile
Un fleuve, au travers de la mer,
Sans que son goût devienne amer,
Passe d’Élide en la Sicile ;
Ses flots, par moyens inconnus,
En leur douceur entretenus,
Aucun mélange ne reçoivent,
Et dans Syracuse arrivant
Sont trouvés de ceux qui les boivent
Aussi peu salés que devant.

Tel entre ces esprits tragiques,
Ou plutôt démons insensés,
Qui de nos dommages passés
Tramoient les funestes pratiques,
Tu ne t’es jamais diverti
De suivre le juste parti ;
Mais, blâmant l’impure licence
De leurs déloyales humeurs,
As toujours aimé l’innocence
Et pris plaisir aux bonnes mœurs.