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parla à Désivetaux, qui, à plusieurs reprises, offrit de le faire venir ; mais Henri IV sentait que c’était une pension à donner, et il avait peur de Sully. Il s’inquiétait bien un peu de laisser si loin de lui une des renommées de son règne. Le roi gascon aimait la gloire, et il savait bien que les belles actions deviennent plus belles en passant par la bouche des poètes. Pour alléger les impôts, il avait Sully qui mettait l’ordre en ses finances ; Sully suffisait au roi, mais au héros il fallait aussi le poète ; et puis, hélas ! faut-il le dire ? Henri, qui n’était plus jeune, se serait volontiers accommodé d’un courtisan qui, ayant des vers prêts en toute rencontre, tout haut servirait sa gloire, tout bas ses amours.

En 1605, Malherbe vint à Paris. Désivetaux le dit au roi, qui le voulut voir ; l’entrevue fut favorable à l’un et à l’autre. Il y avait de l’Henri IV dans Malherbe. Lui aussi il venait, après des guerres civiles littéraires, pacifier les intelligences ; il venait annoncer Corneille, comme Henri IV Louis XIV. Ces deux hommes eurent l’air de se comprendre au premier coup d’œil ; et, comme les qualités étaient communes entre le roi et le poète, l’égalité bannit l’étiquette, la royauté gasconne devina la royauté normande.

Le roi de France allait partir pour le Limousin, où quelque chose remuait. Ce voyage fut le premier sujet qu’il offrit à la verve de Malherbe. Celui-ci s’en acquitta si bien que le roi le retint à son service ; mais craignant encore Sully, il chargea de sa reconnaissance son écuyer, le duc de Bellegarde : celui-ci fit bonne mine au protégé du roi, le prit chez lui, lui entretint un domestique et un cheval, et lui donna 1,000 fr. d’appointements. Malherbe prit le titre de gentilhomme ordinaire de la chambre ; ce ne fut qu’à la mort de Henri IV, qu’ayant reçu de la reine une pension de cinq cents écus, il cessa d’être à la charge du duc de Bellegarde. Ce fut aussi, je crois, tout ce que lui valut la faveur des grands ; car il se plaignait souvent de n’être pas riche,