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POÉSIES

Le cruel ne vit rien, ou ne voulut rien voir.
Il loua mes moutons, mon habit, ma houlette ;
Il m’offrit de chanter un air sur ma musette ;
Il voulut m’enseigner qu’elle herbe va paissant
Pour reprendre sa force un troupeau languissant ;
Ce que fait le soleil des brouillards qu’il attire :
N’avait-il rien, hélas ! de plus doux à me dire ?

Depuis ce jour fatal que n’ai-je point souffert !
L’absence, la raison, l’orgueil, rien ne me sert.
J’ai de nos vieux pasteurs consulté le plus sage ;
J’ai mis tous ses conseils vainement en usage :
De victimes, d’encens j’ai fatigué les dieux ;
J’ai sur d’autres bergers souvent tourné les yeux ;
Mais ni le jeune Atis, ni le tendre Philène,
Les délices, l’honneur des rives de la Seine,
Dont le front fut cent fois de myrtes couronné,
Savans en l’art de vaincre un courage obstiné,
Eux que j’aidais moi-même à me rendre inconstante,
N’ont pu rompre un moment le charme qui m’enchante.
Encor serais-je heureuse en ce honteux lien,
Si, ne pouvant m’aimer, mon berger n’aimait rien :
Mais il aime à mes yeux une beauté commune ;
À posséder son cœur il borne sa fortune :
C’est pour elle qu’il perd le soin de ses troupeaux ;