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POÉSIES

Et n’aurons-nous jamais un généreux dédain
Pour tout ce qui s’oppose aux lois de la sagesse ?
Non, l’amour-propre en nous est toujours le plus fort ;
Et, malgré les combats que la sagesse livre,
On croit se dérober en partie à la mort
Quand dans quelque chose on peut vivre.

Cette agréable erreur est la source des soins
Qui dévorent le cœur des hommes :
Loin de savoir jouir de l’état où nous sommes,
C’est à quoi nous pensons le moins.
Une gloire frivole et jamais possédée
Fait qu’en tous lieux, à tous momens,
L’avenir remplit notre idée ;
Il est l’unique but de nos empressemens.
Pour obtenir qu’un jour notre nom y parvienne,
Et pour nous l’assurer durable et glorieux,
Nous perdons le présent, ce temps si précieux,
Le seul bien qui nous appartienne,
Et qui, tel qu’un éclair, disparaît à nos yeux.
Au bonheur des humains leurs chimères s’opposent.
Victimes de leur vanité,
Il n’est chagrin, travail, danger, adversité,
À quoi les mortels ne s’exposent
Pour transmettre leurs noms à la postérité.