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POÉSIES DE BURNS.


Sa stature semblait être de deux aunes d’Écosse ;
Sa tournure était la plus singulière que j’aie jamais vue,
Car du diable s’il avait un ventre !
          Et puis, ses jambes,
Elles étaient aussi minces, aussi effilées et menues,
          Que deux gourmettes en bois.

« Bonsoir, » dis-je ; « l’ami ! avez-vous été faucher.
Tandis que les autres sont occupés à semer[1] ? »
Il parut faire une espèce de halte,
          Mais sans parler,
À la fin, je lui dis : « L’ami, où allez-vous ?
          Voulez-vous revenir sur vos pas ? »

Il dit d’une voix toute creuse : — « Mon nom est le Trépas,
Mais n’aie pas peur. » — Je dis : « Ma foi,
Vous êtes peut-être venu pour m’ôter la vie :
          Mais écoutez-moi bien, mon garçon ;
Je vous donne un bon conseil : prenez garde de vous faire mal,
          Voyez, voici un couteau ! »

« Jeune homme, » dit-il, « serrez votre petit couteau,
Je n’ai pas dessein d’essayer sa vigueur ;
Mais si cela était, je serais prompt
          À la besosne,
Et je ne m’en soucierais pas tant que de ce crachat que je lance
          Par-dessus ma barbe. »

« C’est bon, c’est bon, » dis-je, « tope ;
Voyons, donnez-moi la main, nous sommes donc d’accord ;
Nous allons reposer nos jambes et nous asseoir ;
          Voyons, dites vos nouvelles ?
Ces temps-ci[2] vous avez frappé à la porte
          De bien des maisons. »

« Oui, oui ! » dit-il, et il secouait la tête,
« Il y a long-temps, longtemps, en vérité,
Que j’ai commencé à trancher le fil,
          Et à couper la respiration :
Les hommes doivent faire quelque chose pour gagner leur pain,
          Et ainsi fait le Trépas.

» Six mille ans sont quasi écoulés
Depuis que je fais mon métier d’égorgeur,
Et c’est en vain qu’on a combiné bien des plans
          Pour m’arrêter ou m’estropier ;

  1. Cette rencontre eut lieu à l’époque des semailles, en 1785. (Note
    de l’auteur.)
  2. Une fièvre épidemique avait ravagé le pays.