preinte native au frottement des villes. Si Burns avait su le grec et le latin, il aurait peut-être cédé aux remontrances affectueuses de ce bon docteur Moore, qui lui recommande si instamment l’étude de l’antiquité, et qui lui reproche de gaspiller son génie, au lieu d’entreprendre quelque poème de longue haleine, où il pourra semer à pleines mains toutes les fleurs de la mythologie. Dans la crainte de restreindre le nombre de ses lecteurs, il se serait peut-être laissé persuader d’échanger son idiome naïf contre la banalité de la langue anglaise.
Mais heureusement il est ignorant, et les funestes conseils de ses amis sont perdus. Il restera fidèle à son écossais ; il n’embouchera pas la trompette anglaise en l’honneur des héros grecs ou romains. Il ne les connaît pas, il ne veut pas les connaître. Paysan écossais, que lui importe l’antiquité ? Mais la vieille Écosse, la mère de l’ale et du whiskey, avec sa mythologie toute vivante encore dans les âmes, avec tous ses glorieux souvenirs ; mais la nature qu’il a sous les yeux, et les sentiments qu’il a dans le cœur ; mais les vertus domestiques du chaume paternel ; mais les souffrances des animaux, victimes éternelles de l’homme ; mais ses chagrins si nombreux ; mais ses amours encore plus nombreuses peut-être ; oh ! à la bonne heure, de jour et de nuit, par la pluie ou le soleil, laboureur courbé sur le sol ou pauvre jaugeur à cheval sur la grande route, il oubliera, à les chanter, toutes les tristes réalités de la vie.
Quelle plante frêle et délicate que le génie, et quelle combinaison de circonstances il faut pour la mener à bien ! Ce n’était pas assez, cette fois, d’un cœur passionné et d’une imagination ardente ; il fallait que l’adversité fécondât et fît éclore ces germes ; il fallait que l’ignorance en abritât la fleur. Et puis étonnons-nous que ce fruit divin soit si rare, et que, comme l’arbre merveilleux des contes orientaux, le génie ne fleurisse que tous les cent ans !