Si j’avais l’honneur d’être poète, je tiendrais, ce me semble, à être reçu dans le monde pour moi-même et indépendamment de mon mérite littéraire. Cette prétention, je l’ai eue pour Burns, et j’ai voulu faire aimer l’homme avant de présenter le poète. J’espère que son récit n’aura pas paru trop long ; et quel commentaire biographique aurait pu valoir cet épanchement d’une âme sincère ? Sans doute la manie de parler de soi est depuis quelque temps un des plus fâcheux ridicules de notre littérature, et le mot est devenu d’aussi mauvais goût dans les livres que dans le monde ; mais les lecteurs feront toujours une exception en faveur d’un talent supérieur, et ses confidences ne seront jamais écoutées sans un vif intérêt.
Bienheureux les poètes ignorants : le royaume des cieux leur est ouvert. Ils ne voient pas la nature à travers les lunettes des livres, comme le dit par expérience le spirituel Dryden ; ils ne consultent pas de poétiques, ils n’entendent rien aux théories, et ne sont enrôlés dans aucun parti littéraire. Ils marchent seuls dans leur sainte innocence ; leurs pieds ne s’embarrassent point dans les langes de l’école ; ils ne s’égarent point à la poursuite de lueurs trompeuses dans les bourbiers de l’imitation ; ils n’analysent ni ne décrivent : ils sentent, ils aiment, ils chantent. La science étouffe l’instinct : heureux les poètes ignorants ; ils peuvent dire comme le proverbe espagnol : Io soy quien soy, Je suis celui que je suis.
Que de divines qualités Burns aurait perdues à être plus lettré ! Voyez son compatriote Thomson le didactique : la nature n’avait pas été avare envers lui ; mais il fut élevé à Édimbourg, mais il vécut à Londres ; et Dieu et les Saisons savent ce qu’il a perdu de son em-