livrais que selon l’humeur du moment. J’avais d’ordinaire une demi-douzaine et plus de pièces de vers en train ; je prenais l’une ou l’autre, suivant la disposition actuelle de mon esprit, et je laissais là l’ouvrage dès que je pressentais la fatigue. Mes passions, une fois allumées, se déchaînaient comme autant de diables, jusqu’à ce que mes vers leur donnassent issue ; alors elles se jetaient sur ma poésie, qui, comme un charme, avait le don de les calmer. Aucun des morceaux de ce temps n’est imprimé, excepté l’Hiver, chant funèbre, l’aînée de mes pièces publiées ; la Mort de la pauvre Mailie, Jean Graind’Orge et les première, deuxième et troisième chansons. La deuxième me fut inspirée par cette passion dont j’ai parlé, et qui interrompit mes études.
» Ma vingt-troisième année fut pour moi une époque importante. Moitié caprice, moitié désir de me mettre à faire quelque chose dans la vie, j’entrai chez un sérancier de la ville voisine (Irwine) pour apprendre son métier. Ce fut une malheureuse affaire… et pour m’achever, comme nous fêtions le nouvel an, la boutique prit feu et fut réduite en cendres ; de sorte que je me trouvai sur le pavé comme un vrai poète, ne possédant pas douze sous.
» J’avais été obligé d’abandonner mon projet ; l’infortune épaississait ses nuages autour de la tête de mon père ; les progrès de la consomption étaient, hélas ! bien visibles, et, pour couronner mes malheurs, une belle fille que j’adorais, et qui m’avait donné rendez-vous dans le champ du mariage, m’attrapa avec certaines circonstances mortifiantes. Le dernier des maux qui fermait cette marche infernale fut que la mélancolie naturelle de mon tempérament s’accrut à un degré tel que je fus pendant trois mois dans un état d’esprit à ne pas être envié même par les malheureux sans espoir qui viennent d’être arrêtés.
» Cette aventure m’apprit à connaître quelque chose des villes. Mais ce qui influa le plus sur mon esprit, ce