reuse encore, car elle est éternelle. Robert était devenu poète ; et tandis que son corps robuste exécutait machinalement les travaux de la ferme, sa pensée était ailleurs à la poursuite de mille gracieux fantômes.
Mais c’était trop peu de l’ennui quotidien d’une tâche rebutante qui prive du bonheur de se livrer à celle qui plairait ; c’était trop peu des résultats fâcheux d’un travail fait à contre-cœur ; la destinée apparemment ne le trouvait pas assez malheureux, je veux dire assez poète : il fallait que ses souffrances et ses charges s’accrussent. Amoureux de Jeanne Armour, il devint père, et voulut, en homme d’honneur, réparer son imprudence. Mais ce mariage, qui lui-même était une infortune dans sa position, devait être acheté par mille autres chagrins.
Il était encore à sa ferme de Mossgiel, lorsque sa jeune maîtresse s’apercut que leur liaison ne pouvait plus rester long-temps secrète. Jugez de leur embarras ! Depuis quatre ans, l’hiver avait été très-rude et le printemps fort tardif ; la ferme, loin de répondre aux efforts des deux frères, avait épuisé la plus grande partie de leurs ressources. Robert pouvait-il associer sa chère Jeanne à une situation si précaire ? Ils convinrent qu’il lui ferait une promesse de mariage, qu’il irait tenter fortune en Jamaïque, et qu’en attendant Jeanne resterait chez elle jusqu’à ce qu’il plût à la Providence de lui renvoyer un mari en état de soutenir une famille.
Mais Jeanne avait un père, qui à cette nouvelle jeta les hauts cris. Sa femme et lui trouvèrent qu’un mariage de cette espèce ne remédiait à rien. Un mari en Jamaïque ! autant n’en point avoir ; et beaucoup mieux même, car c’était ôter à leur fille toute espérance d’un autre établissement. Ils signifièrent donc à Jeanne leur désir que ce papier fût annulé, et le mariage Avec lui. Celle-ci, pleine de remords d’avoir causé une si violente affiction à de si tendres parents, se soumit à leurs volontés, et en donna connaissance à Robert. Pauvre Robert !