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ii
NOTICE SUR BURNS

poètes sont malheureux, on reconnaissait que ce sont les malheureux qui sont poètes.

» Et n’appelez pas cette explication un motif ingénieux de résignation aux maux d’autrui ; quoique vieux, je ne suis pas encore si égoïste. Mais pourquoi aurais-je tant de scrupules ? Placez un poète entre la souffrance et l’obscurité, son choix ne sera pas douteux. Je fais comme lui : son talent me console de ses malheurs, puisque c’est une filiation inévitable ; et je suis de l’avis d’une femme de ma connaissance, qui a pour règle de ne jamais lire les ouvrages d’un poète dont la vie ne l’a pas fait pleurer. »

Burns est du nombre des poètes que mon vieil ami a dû lire, car sa vie fut empoisonnée par bien des chagrins : non pas de ces infortunes brillantes et dramatiques qui excitent l’intérêt de la foule et trouvent leurs dédommagements dans l’effet qu’elles produisent ; mais de ces misères obscures, continues, qui minent peu à peu les forces morales et physiques, et qui me semblent beaucoup plus dignes de compassion.

Fils d’un pauvre fermier du comté d’Ayr en Écosse, Robert Burns apprit, dès l’enfance, à se familiariser avec les travaux et les privations que sa destinée lui réservait, Son père, homme d’un caractère recommandable et d’un esprit fort au-desus de sa position, lutta toute sa vie contre la mauvaise fortune, et ne laissa à ses enfants, pour tout patrimoine, que l’exemple de ses vertus et une éducation passable, qui était en partie son ouvrage. Livrés à eux-mêmes, Robert et son jeune frère Gilbert prirent comme leur père une ferme à bail ; mais leur entreprise ne réussit pas mieux que les siennes. Outre la fatalité qui s’acharnait sur toute cette famille, une autre cause personnelle à Robert mettait obstacle au succès. L’amour, qui seul détourne assez déjà de ce qu’on nomme les interêts positifs de la vie, l’amour lui avait apporté une distraction bien plus dange-