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NOTICE SUR THÉOGNIS DE MÉGARE

en pleine mer dans la sombre nuit, et dorment sans défendre le navire contre les vagues qui l’envahissent par les deux bords. »

Ces vers respirent une morale plus désintéressée et plus haute. Mais Théognis n’aurait pas été compté parmi les moralistes, s’il s’était borné à exprimer, dans l’émotion du patriotisme, quelque sentiment généreux. Ce qui lui a mérité cet honneur, c’est une sorte de fonction volontairement acceptée et remplie sous une forme toute grecque, celle d’instituteur d’un jeune homme. Une antique légende, que racontait encore Pindare, représente le centaure Chiron élevant Achille et façonnant à la fois le corps et l’âme du jeune héros : il semble qu’une tradition se soit formée à cet exemple chez les Grecs, qui conservaient parmi les poèmes hésiodiques des Conseils de Chiron à Achille, et qu’elle ait surtout été en honneur dans l’aristocratie dorienne. C’est ainsi que Théognis se fait l’éducateur d’un jeune noble, Cyrnus de Polypaidès ou fils de Polypès ; il lui prodigue les conseils, lui transmet les qualités et les manières qui conviennent à son rang, lui communique enfin la science de la vie telle qu’il l’a gagnée par une pénible expérience. Sans doute, dans cette période de luttes et de périls, les passions haineuses, les leçons d’une prudence qui va jusqu’a la dissimulation ne sauraient être exclues de l’enseignement du maître : c’est une éducation de parti que reçoit l’élève des Théognis. Cependant il y a aussi dans cet enseignement un côté plus général et plus noble ; le poète