Page:Poètes Moralistes de la Grèce - Garnier Frères éditeurs - Paris - 1892.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
137
NOTICE SUR THÉOGNIS DE MÉGARE

demi humains qui naguère, exclus de la cité, vivaient sur la montagne comme des bêtes sauvages, dont le cou plié par la servitude ne peut se redresser, qu’il faut écraser du talon, dont l’incurable grossièreté est aussi impuissante à produire des enfants de bonne nature que les oignons des scilles à donner la rose ou l’hyacinthe.

La société se partage en deux classes : les bons, c’est-à-dire les nobles, et les mauvais, c’est-à-dire les vilains. Or ce qui désole le poète et lui paraît consommer la ruine morale de la société, c’est que sous la contrainte de la pauvreté, des nobles s’allient par des mariages avec des vilains enrichis. En lisant ces plaintes, nous ne devons pas oublier que Mégare était une ville maritime et commerçante. Le peuple ne se borna pas à s’emparer violemment des propriétés de ses anciens oppresseurs ; il leur succéda dans les opérations commerciales dont ils avaient le privilège et l’expérience et donna ainsi à sa fortune nouvelle un accroissement durable. De là des rapports d’intérêts et des désirs mutuels de transactions ; et c’est ce qui sans doute contribua le plus à amener avec le temps un rapprochement entre les classes ennemies. Théognis, lui, condamne énergiquement chez les autres membres de l’aristocratie ces honteuses faiblesses. Dépouillé lui-même de ses biens, il ne trouve de satisfaction que dans l’amertume de ses plaintes et dans l’expression de ses regrets. Plût aux dieux qu’il pût boire le sang noir de ses spoliateurs ! Telle est l’imprécation, renouvelée de l’Hécube d’Homère, qui s’élance de cette âme

4***