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leur vol, avec de grands cris, vers le vaisseau de Cicéron, qui faisait force de rames pour aborder, et allèrent se poser aux deux côtés de l’antenne. Les uns croassaient, les autres frappaient à coup de bec les extrémités des cordages. Tout le monde regarda ce signe comme un présage de malheur. Cicéron, débarqué, entre dans sa maison, et se couche pour prendre du repos ; mais la plupart de ces corbeaux vinrent se poser sur la fenêtre de sa chambre, en jetant des cris effrayants. Il y en eut un qui s’abattit sur le lit, et tira insensiblement avec son bec le pan de la robe dont Cicéron s’était couvert le visage. À cette vue, ses domestiques se reprochèrent leur lâcheté. « Attendrons-nous, disaient-ils, d’être témoins ici du meurtre de notre maître ? et, lorsque des animaux même accourent à son aide, et s’inquiètent du sort indigne qui le menace, ne ferons-nous rien pour sa conservation ? » Ils le mirent dans une litière, autant par prières que par force, et prirent le chemin de la mer.

Sur ces entrefaites, les meurtriers arrivèrent : c’étaient un centurion nommé Hérennius, et Popilius, tribun des soldats. Ce dernier avait été autrefois défendu par Cicéron dans une accusation de parricide. Ils étaient suivis de quelques satellites. Ayant trouvé les portes fermées, ils les enfoncèrent. Cicéron ne paraissait pas ; et les gens de la maison assuraient ne l’avoir point vu. Mais un jeune homme, nommé Philologus, affranchi de Quintus, frère de Cicéron, et que Cicéron lui-même avait instruit dans les lettres et dans les sciences, apprit, dit-on, au tribun qu’on portait la litière vers la mer, par les allées couvertes. Le tribun prend avec lui quelques soldats, et s’élance, par un détour, vers l’issue des allées. Cicéron, ayant entendu la troupe que menait Hérennius courir précipitamment par le fourré, dit à ses serviteurs de poser à terre la litière ; et, portant la main gauche à son