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continuât sa route, et se hâtât de fuir, et que Quintus courût à sa maison chercher tout ce qui leur était nécessaire. Cette résolution prise, ils s’embrassèrent tendrement, et se séparèrent en fondant en larmes. Peu de jours après, Quintus, trahi par ses domestiques, et livré à ceux qui le cherchaient, fut mis à mort avec son fils[1]. Cicéron, en arrivant à Astyra, trouva un vaisseau prêt, sur lequel il s’embarqua, et cingla, par un bon vent, jusqu’à Circéum. Les pilotes voulaient remettre aussitôt à la voile, et pousser plus loin ; mais Cicéron, soit qu’il craignît la mer, soit qu’il conservât encore quelque espoir dans la fidélité de César, descendit à terre, et fit à pied l’espace de cent stades[2], comme s’il eût voulu retourner à Rome.

Puis, retombant en proie à ses inquiétudes, il changea de sentiment, et reprit le chemin de la mer. Il se rendit à Astyra, où il passa la nuit, livré à des pensées affreuses, et ne sachant à quoi se résoudre : il songea même un moment à aller secrètement dans la maison de César, et à s’y égorger lui-même sur le foyer, afin d’attacher à sa personne une furie vengeresse. La crainte d’être appliqué à la torture, s’il était pris, le détourna de cette résolution. Toujours flottant entre des partis également dangereux, il s’abandonna à ses domestiques, pour le conduire par mer à Caiète, où il avait un domaine : c’était une retraite agréable dans la saison de l’été, lorsque les vents étésiens rafraîchissent l’air par la douceur de leur haleine. Il y a, dans ce lieu, un temple d’Apollon, situé près de la mer. Tout à coup il se leva, du haut du temple, une troupe de corbeaux, qui dirigèrent

  1. Il y eut entre le père et le fils une lutte généreuse à qui mourrait le premier. Les bourreaux, pour les accorder, les prirent chacun à part, et les égorgèrent en même temps.
  2. Environ cinq lieues.