Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/94

Cette page a été validée par deux contributeurs.

chez lui[1]. Depuis ce jour-là, ils cessèrent de se saluer quand ils passaient à côté l’un de l’autre dans les rues. Ils vivaient dans cette défiance réciproque, lorsque le jeune César arriva d’Apollonie, et se porta pour héritier de César, réclamant une somme de vingt-cinq millions de drachmes[2], qu’Antoine retenait de la succession du dictateur : c’est à ce moment que commença la rupture ouverte d’Antoine et de Cicéron. Philippe, qui avait épousé la mère du jeune César, et Marcellus, le mari de sa sœur, allèrent avec lui chez Cicéron : là, il fut convenu que Cicéron appuierait César de son éloquence et de son crédit dans le Sénat et auprès du peuple, et que le jeune César, de son côté, emploierait son argent et ses armes à protéger la vie de Cicéron ; car le jeune homme avait déjà auprès de lui un grand nombre des soldats qui avaient servi sous le dictateur.

Mais il paraît que Cicéron fut déterminé par un motif plus puissant à recevoir avec plaisir les offres d’amitié de César. Du temps que Pompée et César vivaient encore, Cicéron avait eu un songe dans lequel il lui sembla qu’on appelait au Capitole les enfants des sénateurs. Jupiter devait déclarer l’un d’entre eux souverain de Rome. Les citoyens étaient accourus en foule, et environnaient le temple. Les enfants, vêtus de la prétexte, étaient assis en silence : tout à coup les portes s’ouvrent, les enfants se lèvent, et passent, chacun à son rang, devant le dieu, qui, après les avoir considérés attentivement, les renvoie tous fort affligés ; mais, quand le jeune César s’approcha, Jupiter étendit la main, et dit : « Romains, voilà le chef qui terminera vos guerres civiles. » Ce songe grava, dit-on, si vivement dans l’esprit de Ci-

  1. Nous avons déjà vu cette expression et nous l’avons expliquée. Voyez la Vie de Caton le jeune dans le troisième volume.
  2. Environ vingt-trois millions de francs.