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de leur ville. On a des lettres de Cicéron à Hérode[1] et d’autres à son fils, pour les exhorter à prendre les leçons de Cratippus. Il reproche au rhéteur Gorgias d’inspirer à son fils le goût des plaisirs et de la table ; et il le somme de n’avoir plus aucun rapport avec lui. C’est la seule à peu près des lettres de Cicéron, avec une autre à Pélops de Byzance, qui soit écrite de ce ton d’aigreur[2] ; mais il avait raison de se plaindre de Gorgias, s’il était réellement aussi vicieux et aussi corrompu qu’il semblait l’être ; au lieu qu’il y a bien de la petitesse dans les reproches qu’il fait à Pélops sur sa négligence à lui procurer, de la part des Byzantins, des honneurs et des décrets qu’il désirait.

C’est sans doute à son ambition qu’il faut attribuer ces misères, ainsi que le tort qu’il eut souvent de sacrifier toute convenance à la réputation de bien dire. Munatius[3], que Cicéron avait défendu et fait absoudre, poursuivait en justice Sabinus, un de ses amis. Cicéron en fut si irrité, qu’il s’oublia jusqu’à lui dire : « Crois-tu donc, Munatius, que ce soit à ton innocence que tu as dû d’être absous, plutôt qu’à mon éloquence, qui a offusqué la lumière aux yeux des juges ? » Il fit un jour, à la tribune, un éloge de Marcus Crassus qui fut très-applaudi ; et, peu de temps après, il fit de lui une censure amère. « N’est-ce pas en ce même lieu, lui dit Crassus, que tu m’as loué il y a quelques jours ? — Oui, répondit Cicéron ; je voulais essayer mon talent sur un sujet ingrat. » Une autre fois, Crassus avait dit que pas un des Crassus à Rome n’avait vécu plus de soixante ans ; mais ensuite

  1. Un des Grecs que Cicéron avait chargé de lui rendre compte des progrès de son fils, qui étudiait à Athènes.
  2. Ces lettres, ainsi que les autres que Cicéron avait écrites en grec, n’existent plus.
  3. T. Munatius Plancus Bursa, ennemi de Milon et de Cicéron. Celui-ci l’avait d’abord défendu ; plus tard il le fit condamner.