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ville, et qui aime à m’y tenir, afin qu’elle ne devienne pas plus petite encore, je n’ai pas eu le temps d’étudier la langue latine pendant mon séjour à Rome et dans l’Italie, à cause des affaires politiques dont j’étais chargé, et de la foule des personnes qui venaient chez moi pour s’entretenir de la philosophie ; et ce n’est qu’assez tard, et dans un âge avancé, que j’ai commencé à lire les écrits des Romains. Il m’est arrivé, à cet égard, une chose fort extraordinaire, et pourtant très-vraie : c’est qu’au lieu de comprendre les faits que je lisais par l’intelligence des mots, ce sont plutôt les faits dont j’avais acquis déjà quelque connaissance qui m’ont servi à entendre les termes. Quant à sentir la beauté de la diction latine, sa précision, ses figures de mots, son harmonie, et tous les autres ornements du discours, je ne doute pas que ce ne soit un vif plaisir ; mais ce ne peut être que le fruit d’un long exercice, d’une étude pénible, et qui ne convient qu’à un homme de loisir, et dont l’âge se prête encore à l’espoir de réussir dans l’entreprise. C’est pourquoi dans ce livre, le cinquième des Vies parallèles, nous allons apprécier Démosthène et Cicéron d’après la comparaison des actions et de la conduite politique, du caractère et des dispositions d’esprit ; mais nous nous abstiendrons de comparer ensemble leurs discours, et de décider lequel des deux a été l’orateur le plus agréable et le plus éloquent ; car, comme dit Ion[1],

La vigueur du dauphin n’est rien sur la terre.

Faute d’avoir connu cette maxime, Cécilius[2], qui ne doutait jamais de rien, a été assez présomptueux pour faire un parallèle de Démosthène et de Cicéron. Aussi bien, en

  1. Poète tragique un peu postérieur à Sophocle et à Euripide.
  2. Rhéteur sicilien, qui vivait du temps d’Auguste.