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dans lesquelles je vous vois et les témoignages touchants de votre affection me rendent cette journée plus heureuse que celle où vous m’élevâtes à l’empire ; mais j’attends de vous une marque d’intérêt plus grande encore, c’est de me laisser mourir honorablement pour tant de braves citoyens. Si j’ai été véritablement digne de l’empire romain, je ne dois pas craindre de me sacrifier pour ma patrie. La victoire, je le sais, n’est ni entière ni bien assurée pour les ennemis. J’apprends que notre armée de Mésie n’est plus qu’à quelques journées de nous, et qu’elle vient par la mer Adriatique. L’Asie, la Syrie, l’Égypte et les légions qui faisaient la guerre en Judée se sont, j’en conviens, déclarées pour nous ; le Sénat lui-même est dans notre parti ; les femmes et les enfants de nos ennemis sont entre nos mains ; mais ce n’est point contre Annibal, ni contre Pyrrhus ou les Cimbres, que nous faisons la guerre pour leur disputer la possession de l’Italie ; c’est contre les Romains mêmes que nous combattons : vainqueurs ou vaincus, nous ruinons également notre patrie, et la victoire est toujours funeste aux Romains. Croyez que je puis mourir plus glorieusement que je ne puis régner ; car je ne vois pas que ma victoire doive être aussi utile aux Romains que ne le sera ma mort, en me sacrifiant pour ramener la paix et la Concorde dans l’empire, et pour empêcher que l’Italie ne voie une seconde journée aussi funeste que celle-ci. »

Malgré ce discours, ses amis renouvelèrent encore leurs efforts, pour l’encourager et pour le détourner de sa résolution ; mais il fut inflexible. Après leur avoir commandé de pourvoir à leur sûreté, il fit porter le même ordre aux absents, et il écrivit aux villes de les recevoir honorablement, et de leur donner une escorte pour assurer leur retraite. Puis, faisant approcher son neveu Coccéius, qui était encore fort jeune, il l’exhorta à