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cher la raison, il n’avait pu la trouver, ni l’apprendre de quelque autre. En effet, il est vraisemblable que, dans les guerres civiles, quand la déroute est dans une des armées, le carnage est plus grand que dans les autres guerres, parce qu’on ne fait point de prisonniers, qui ne pourraient servir à rien à ceux qui les auraient pris ; mais, que ces morts aient été entassés si haut, la raison en est malaisée à rendre.

Les premières nouvelles qu’Othon reçut de sa défaite furent d’abord incertaines, comme il arrive ordinairement dans les événements de cette importance ; mais, bientôt après, les blessés qui arrivèrent de la bataille lui en donnèrent la certitude. Ce n’est pas chose étonnante que, dans un tel revers, ses amis aient fait tous leurs efforts pour prévenir son désespoir et soutenir son courage ; mais, ce qui surpasse toute croyance, c’est l’affection que lui témoignèrent ses soldats : on n’en vit pas un seul le quitter et passer à l’ennemi, ni chercher à fuir, alors même qu’il voyait son général désespérer du salut. Au contraire, assemblés devant sa porte, ils l’appelaient toujours leur empereur ; quand il sortait, ils tombaient à ses pieds[1] lui tendaient les mains en poussant des cris ; et, baignés de larmes, ils le conjuraient de ne point les abandonner, de ne les pas livrer à l’ennemi, mais de se servir d’eux à son gré tant qu’il leur resterait un souffle de vie. Tous lui faisaient la même prière ; et un simple soldat, tirant son épée, lui dit : « César, sache que mes compagnons, ainsi que moi, sont tous résolus de mourir pour toi ; » et, en disant ces mots, il se tua en sa présence.

Mais rien ne put fléchir Othon. Après avoir promené ses regards autour de lui avec un air assuré et un visage riant, il leur dit : « Mes compagnons, les dispositions

  1. Le texte est encore altéré et fort peu intelligible à cet endroit.