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une furie ou un démon exterminateur qui venait fondre sur l’empire ; et ils conçurent de douces espérances d’un règne qui commençait sous de tels auspices.

Mais rien ne plut tant aux Romains, et ne contribua davantage à lui gagner leur affection, que sa conduite envers Tigellinus. Ce scélérat était déjà assez puni par la crainte où il était sans cesse d’un châtiment que la ville demandait comme une dette publique, et par les maladies incurables dont son corps était attaqué. Les débauches infâmes, les dissolutions impies auxquelles il se livrait avec de viles prostituées, et après lesquelles son incontinence désordonnée le faisait toujours courir, même dans les bras de la mort, étaient, aux yeux des gens sages, le plus cruel supplice qu’il pût endurer, et pire mille fois que la mort ; mais, néanmoins, on s’affligeait de voir jouir de la lumière du soleil un misérable qui en avait privé tant et de si grands hommes. Ce fut dans sa maison de plaisance, auprès de Sinuesse[1], où il se tenait avec des vaisseaux prêts pour la fuite, qu’Othon l’envoya prendre. D’abord Tigellinus tâcha de gagner à prix d’argent celui qui était chargé de l’ordre d’Othon, afin qu’il lui permît de fuir ; mais, n’ayant pu y parvenir, il ne laissa pas de lui faire des présents, et le pria de lui donner le temps de se raser, ce que l’autre lui accorda : alors, saisissant un rasoir, il se coupa la gorge.

Othon, après avoir donné au peuple cette juste satisfaction, oublia tout ressentiment particulier. Pour complaire à la multitude, il consentit d’abord à ce qu’on l’appelât Néron dans les théâtres. Il n’empêcha même pas qu’on relevât publiquement des statues de Néron ; et Claudius Rufus[2] rapporte que les lettres patentes qui

  1. Ville maritime de la Campanie.
  2. Cet historien, cité aussi par Tacite, se nommait Cluvius Rufus, et non point Claudius.