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et qui d’ailleurs n’avait aucune expérience des affaires. Un jour, à des jeux publics, les tribuns et les chefs de bandes ayant fait, selon la coutume des Romains, des vœux pour la prospérité de l’empereur, la plupart des soldats en murmurèrent ; et, comme les officiers continuaient leurs prières, ils répondirent : « S’il en est digne[1]. » Les troupes que commandait Tigellinus se portaient souvent à de pareilles insolences, dont Galba était toujours informé par ses lieutenants. Et, comme il craignait qu’on ne le méprisât, tant à cause de sa vieillesse que parce qu’il n’avait pas d’enfants, il résolut d’adopter quelque jeune Romain d’illustre maison, et de le déclarer son successeur à l’empire.

Or, il y avait à Rome un jeune homme de noble famille, nommé Marcus Othon, que le luxe et les plaisirs avaient tellement corrompu dès l’enfance, qu’il ne le cédait nullement en débauches aux plus dissolus des Romains. Et, comme Homère appelle toujours Pâris le mari de la belle Hélène, le désignant par le nom de sa femme parce qu’il n’avait rien de recommandable en lui-même, de même Othon s’était rendu célèbre à Rome par son mariage avec Poppée. Néron était devenu amoureux de Poppée, pendant qu’elle était mariée à Crispinus ; mais, retenu par le respect qu’il conservait encore pour sa femme et par la crainte de sa mère, il cacha sa passion, et chargea Othon d’aller voir Poppée et d’essayer de la séduire. Car Othon s’était rendu agréable à Néron à cause de sa prodigalité ; et Néron écoutait souvent avec plaisir les railleries qu’Othon faisait sur son excessive économie. On raconte, à ce propos, qu’un jour Néron, se parfumant d’une essence précieuse, en arrosa légèrement Othon :

  1. Le texte donne οὐκ ἅξιος, il n’en est pas digne ; mais la correction de οὐκ en εἰ est nécessaire : c’est d’ailleurs la leçon des anciennes éditions et de plusieurs manuscrits.