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la comparait au cyclope Polyphème, après qu’il eut eu l’œil crevé. Mais l’empire romain, quand il fut divisé en plusieurs partis, devint en proie à des agitations violentes, à des troubles furieux, comme on nous peint ceux des Titans, et tourna ses armes contre lui-même, moins encore par l’ambition des chefs qui se faisaient nommer empereurs, que par l’avarice et la licence des gens de guerre, qui les chassaient les uns par les autres, comme un clou en chasse un autre. Denys disait, en parlant du tyran de Phères[1] qui, après avoir régné dix mois en Thessalie, avait été mis à mort, que c’était un tyran de tragédie ; se moquant ainsi du changement subit qui s’était opéré dans sa fortune. Mais le palais des Césars reçut, dans un moindre espace de temps, quatre empereurs, les soldats y faisant entrer l’un en en chassant l’autre, de même que sur un théâtre. Il est vrai que les Romains, tout en souffrant de ces changements, y trouvaient une consolation ; c’était de n’avoir besoin d’aucune vengeance contre les auteurs de leurs maux, qu’ils voyaient se tuer les uns les autres. Ils virent périr le premier, et avec grande justice, celui qui les avait entraînés dans ces changements, en leur faisant espérer de chaque nouvel empereur tout ce qu’il lui avait plu de leur promettre : c’était déshonorer la plus belle de toutes les entreprises, la révolte contre Néron, et la faire dégénérer en trahison, par le salaire dont elle était payée.

Car Nymphidius Sabinus, qui, comme nous l’avons dit[2] était préfet du prétoire avec Tigellinus, voyant les affaires de Néron désespérées, et Néron sur le point de se retirer en Égypte, persuada aux soldats, comme si Néron eût déjà pris la fuite, de proclamer Galba empe-

  1. Le tyran dont le nom manque ici se nommait Polyphron. C’est à tort qu’on a cru qu’il s’agissait d’Alexandre de Phères, puisque Alexandre régna pendant onze ans.
  2. Probablement dans la Vie de Néron. Plutarque l’avait écrite ; mais elle est perdue.