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d’un tel outrage eût irrité en vain, puisqu’il était dans l’impuissance de s’en venger. Il s’était fait dans Philippe le plus grand et le plus incroyable de tous les changements : au commencement, c’était un roi plein de douceur, un jeune homme sage et tempérant ; mais il était devenu le plus débauché des hommes et le plus odieux de tous les tyrans ; ou plutôt ce ne fut pas un changement, mais bien une manifestation des vices que la crainte lui faisait dissimuler, et qu’il produisit au dehors, quand l’impunité lui fut assurée.

L’affection qu’il fit paraître dès l’abord pour Aratus était mêlée de respect et de crainte, comme le prouve ce qu’il fit dans la suite contre lui ; car, malgré le grand désir qu’il avait de s’en défaire, étant persuadé que tant qu’Aratus vivrait il ne serait jamais libre bien loin d’être tyran ou roi, il n’osa néanmoins employer contre lui la force ouverte : il chargea Taurion, un de ses officiers et son ami, de l’en délivrer secrètement, en employant de préférence le poison, et de le faire en son absence. Taurion se lia avec Aratus, et lui donna un de ces poisons qui ne sont ni prompts ni violents, mais qui allument dans le corps un feu lent, excitent une toux faible, et finissent par conduire insensiblement à une phthisie incurable. Aratus connut fort bien la cause de son mal ; mais, sachant qu’il n’eût rien gagné à s’en plaindre, il le supporta patiemment, comme si c’eût été une maladie ordinaire. Un jour seulement, ayant craché du sang en présence d’un de ses amis qui était dans sa chambre, comme celui-ci lui en témoignait son étonnement : « Mon cher Céphalon, lui dit Aratus, voilà le fruit de l’amitié des rois. » Il mourut ainsi à Égium, étant général pour la dix-septième fois[1].

Les Achéens voulaient qu’il fût enterré dans le lieu

  1. Il était âgé de cinquante-huit ans.