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Aratus ; mais, comme Cléomène tenait Sicyone investie, il ne pouvait en sortir sans danger ; d’ailleurs ses concitoyens le retenaient, et ne voulaient pas souffrir qu’il exposât sa personne en passant ainsi au travers des ennemis. Les femmes mêmes et les enfants l’environnaient comme leur père et leur sauveur : ils le tenaient étroitement embrassé, et fondaient en larmes. Aratus les rassura ; puis, après les avoir consolés, il monta à cheval, et se rendit sur le bord de la mer avec dix de ses amis et son fils, qui entrait alors dans l’adolescence. Ayant trouvé là quelques vaisseaux qui étaient à l’ancre, ils s’y embarquèrent, et arrivèrent à Égium, où se tenait l’assemblée. Il fut résolu qu’on appellerait Antigonus, et qu’on lui remettrait la citadelle : Aratus lui envoya même son fils parmi les autres otages. Les Corinthiens furent tellement irrités de ce décret, qu’ils pillèrent les richesses d’Aratus, et donnèrent sa maison à Cléomène. Comme Antigonus s’avançait avec son armée, composée de vingt mille hommes de pied et de quatorze cents chevaux, Aratus, avec les principaux magistrats, alla par mer à sa rencontre jusqu’à Pèges[1], à l’insu des ennemis, quoi qu’il ne se fiât pas trop à Antigonus ni aux Macédoniens. Il savait qu’il ne s’était agrandi que par les maux qu’il leur avait faits, et que sa haine pour l’ancien Antigonus avait été le premier et le plus solide fondement de sa fortune ; mais, voyant que la nécessité était indispensable, et que la conjoncture, qui force l’obéissance de ceux-là même qui se croient les maîtres, exigeait cette démarche, il en courut le hasard.

Dès qu’Antigonus eut été averti de l’arrivée d’Aratus, il s’avança vers lui ; puis, après avoir salué tous les autres avec politesse, mais sans aucune espèce de distinction, il fit à Aratus, dès cette première entrevue, l’accueil

  1. Ville maritime située au fond du golfe de Corinthe.