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appelait cet heureux tyran, qui sortait alors de sa chambre comme un serpent de son repaire. Aratus, au contraire, qui avait acquis, non par la violence et les armes, mais par sa vertu et l’autorité des lois, une domination perpétuelle ; qui était toujours vêtu d’une robe et d’un manteau très-simples, et qui s’était déclaré l’ennemi commun de tous les tyrans, a laissé une postérité qui subsiste encore de nos jours, et qui est honorée de tous les Grecs[1]. Mais, parmi ces usurpateurs qui occupent des forteresses, qui entretiennent des satellites, et qui, pour la sûreté de leur personne, s’entourent d’armes, de portes et de trappes, un bien petit nombre, ainsi que les lièvres, échappent à une mort violente ; mais il n’en est pas un seul qui laisse après lui une race, une maison, un tombeau, pour conserver de sa personne un souvenir honorable.

Aratus avait tenté, à diverses reprises, tantôt secrètement, tantôt à force ouverte, de surprendre Aristippe et de lui enlever Argos, mais toujours en vain. Une fois, entre autres, après être parvenu à dresser les échelles, il avait gagné, avec peu de gens, et non sans grand danger, le haut de la muraille, et tué les gardes qui étaient accourus pour le repousser ; mais, quand le jour parut, le tyran l’ayant assailli de tous côtés, les Argiens, comme si Aratus n’eût pas combattu pour leur propre liberté, et qu’ils n’eussent fait que présider aux jeux néméens, ne firent aucun mouvement, et demeurèrent spectateurs équitables et impartiaux du combat. Aratus, en se défendant avec vigueur, reçut un coup de pique qui lui perça la cuisse : néanmoins, il se maintint jusqu’à la nuit dans le poste qu’il occupait, sans que les ennemis, qui le pressaient vivement, pussent l’en repousser. Et, si

  1. Au temps de Plutarque, cette race subsistait déjà depuis trois cent cinquante ans ; et Polycratès, à qui est dédiée cette Vie, avait deux fils pour la perpétuer après lui.