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les Mantinéens. La cause fut plaidée sans qu’Aratus comparût ; et Aristippe la poursuivit avec tant de chaleur, qu’il fit condamner les Achéens à une amende de trente mines[1]. Depuis lors, Aristippe, qui haïssait et craignait également Aratus, chercha les moyens de le faire périr ; et il fut secondé par Antigonus, qui s’associa à sa vengeance. Ils avaient partout des gens apostés, qui n’épiaient que l’occasion d’exécuter leur dessein. Mais il n’est point de garde plus sûre pour un chef que l’affection ferme et sincère de ceux qui lui sont soumis ; car, lorsque le peuple et les grands se sont accoutumés non point à craindre celui qui les commande, mais à craindre pour lui, alors toutes les oreilles, tous les yeux sont ouverts pour veiller à sa sûreté ; et en un instant il est instruit de tout ce qui se passe.

Je veux, à cette occasion, interrompre un instant le fil de ma narration, pour faire connaître le genre de vie auquel Aristippe s’était réduit par amour pour cette tyrannie si enviée, pour cette autorité absolue dont on vante tant le bonheur. Ce tyran, qui avait Antigonus pour allié, qui entretenait pour la sûreté de sa personne un si grand nombre de troupes, et qui n’avait laissé dans Argos aucun de ses ennemis vivant, ne souffrait pas même que ses propres satellites logeassent dans le palais, et les tenait dans les portiques extérieurs ; son souper était à peine servi, qu’il chassait tous ses domestiques, fermait lui-même la porte de sa cour, et se retirait, avec sa concubine, dans une chambre haute, fermée par une trappe sur laquelle il plaçait son lit, où il dormait comme peut dormir un homme dans un état continuel de trouble et de frayeur. Quand il était monté, la mère de sa concubine retirait l’échelle, qu’elle allait enfermer dans une autre pièce. Le lendemain matin, elle la rapportait, et

  1. Environ deux mille sept cents francs de notre monnaie.