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venait à bout de l’entreprise ; et si, au contraire, elle manquait, et qu’ils se sauvassent, lui et eux, il s’engageait à leur donner à chacun une maison et un talent[1]. Comme il fallait que les soixante talents fussent déposés chez Égias pour la sûreté d’Erginus, Aratus, qui ne les avait pas alors et ne voulait pas les emprunter, de peur qu’on ne soupçonnât son dessein, mit en gage, chez le banquier, la plus grande partie de sa vaisselle et des bijoux de sa femme. Plein de grandeur d’âme, amoureux du beau et de l’honnête, et sachant qu’Épaminondas et Phocion avaient passé pour les plus justes et les plus gens de bien de toute la Grèce, parce qu’ils avaient toujours refusé les présents qu’on leur offrait et n’avaient jamais rendu leur probité vénale, il alla plus loin encore : il dépensa secrètement son bien pour cette entreprise, quoiqu’il s’exposât seul au danger pour ses concitoyens, et sans qu’ils connussent même ce qu’il faisait pour eux. Qui n’admirerait une telle magnanimité ? Qui encore aujourd’hui ne s’intéresserait aux actions d’un homme qui achète si chèrement un tel péril, et met en gage ce qu’il a de plus précieux pour se faire mener la nuit au milieu des ennemis, où il combattra pour sa propre vie, sans d’autre gage que l’espérance d’une belle action ?

Cette entreprise, déjà si dangereuse en elle-même, le devint davantage encore par la faute qu’une méprise fit commettre dès le commencement. Aratus avait chargé Technon, son esclave, d’aller reconnaître la muraille avec Dioclès. Technon, qui ne connaissait pasDioclès de figure, mais qui croyait en avoir les traits suffisamment empreints dans son esprit d’après le portrait qu’Erginus lui en avait fait, en lui disant que son frère était brun, avait les cheveux frisés, et n’avait point de barbe ; Technon, dis-je, en arrivant au lieu du rendez-vous où devait venir.

  1. Environ six mille francs.