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pérance de le lui faire épouser ; et ce n’était pas chose peu flatteuse pour une femme de l’âge de Nicéa, que de lui faire espérer pour mari un prince jeune et bien fait. Il se servit donc de son fils comme d’un appât pour gagner Nicéa, et il y réussit quant au mariage ; mais, pour la citadelle, Nicéa, loin de l’abandonner, la garda avec plus de soin encore qu’auparavant. Antigonus feignit de ne s’en plus soucier : il fit célébrer à Corinthe les noces de son fils, et donna tous les jours des spectacles et des festins, comme s’il ne pensait qu’à se divertir et à faire bonne chère. Le jour où le musicien Àmœbéus devait chanter sur le théâtre, Antigonus fit orner une litière avec une magnificence royale, et conduisit lui-même Nicéa au spectacle. Nicéa, ravie de cet honneur, était loin de penser à ce qui l’attendait ; car, quand on fut arrivé au détour d’une rue qui montait au théâtre, Antigonus ordonna à ceux qui la portaient de l’y conduire : pour lui, laissant là Amœbéus et les plaisirs de la noce, il monta incontinent à la citadelle, avec une activité au-dessus de son âge. Ayant trouvé la porte fermée, il heurta avec son bâton, en ordonnant aux soldats de la lui ouvrir ; et ceux-ci, à qui sa présence imposait, lui obéirent. Antigonus, se voyant maître de la place, et ne pouvant contenir sa joie, se mit à boire au milieu des rues et dans la place publique, accompagné de musiciennes, et couronné de fleurs. Oubliant son âge et les divers changements de fortune qu’il avait éprouvés, il courait comme un débauché, arrêtait les passants et les embrassait : tant la joie qui n’est pas modérée par la raison fait sortir l’homme hors de lui-même, et apte son âme plus que la tristesse et la crainte ! Antigonus, s’étant ainsi emparé de la citadelle, y mit une garnison d’hommes en qui il avait toute confiance, et en donna le commandement au philosophe Perséus[1].

  1. C’était un stoïcien, qui avait d’abord été l’esclave de Zénon, et qui