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vie, celui que ses vertus élevaient au-dessus d’eux, non-seulement de se maintenir libres au milieu de tant de villes, de tant de souverains redoutables et d’un si grand nombre de tyrans, mais encore d’affranchir ou de préserver de la servitude la plupart des autres Grecs.

Aratus possédait toutes les qualités d’un homme d’État : il était généreux, magnanime, plus occupé du bien public que du sien propre, ennemi implacable des tyrans, et n’ayant d’autre mesure de ses amitiés et de ses haines particulières que l’utilité générale. Aussi parais-sait-il moins ami zélé qu’ennemi doux et facile ; car il variait souvent dans l’un et l’autre de ces deux sentiments, et toujours par des motifs d’intérêt politique. Les nations, les villes, les assemblées, les théâtres, s’accordaient à dire qu’Aratus n’aimait que ce qui était honnête, et que, s’il était timide et défiant dans les guerres ouvertes et les batailles rangées, il était, pour exécuter des desseins secrets et surprendre des villes et des tyrans, les plus rusé des hommes. De là vient qu’après avoir exécuté avec gloire des entreprises dont on n’osait espérer le succès, et dans lesquelles il fit preuve de la plus grande audace, il en manqua d’autres, par excès de précaution, qui n’étaient ni moins importantes, ni plus difficiles. Car, de même qu’il y a des animaux qui, voyant clair dans les ténèbres, sont aveugles pendant le jour, parce que la sécheresse et la ténuité de l’humeur aqueuse de leurs yeux ne peut supporter la lumière, de même aussi voit-on des hommes prudents et courageux se troubler aisément dans les périls qu’il faut braver ouvertement et en plein jour, tandis qu’ils montrent la plus grande assurance dans les entreprises secrètes qu’ils font, pour ainsi dire, à la dérobée. Cette inégalité, dans les caractères distingués, vient d’un défaut de philosophie : la nature seule, sans le secours de la science, produit en eux la vertu, comme ces fruits sauvages qui