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morale, et que le droit est invincible quand il est soutenu par le talent de la parole. Il leur montra que l’homme d’État qui veut bien gouverner doit, dans sa conduite publique, préférer toujours ce qui est honnête à ce qui flatte ; mais qu’il doit aussi, dans ses discours, tempérer par la douceur du langage la rigueur des actes qu’il propose. Rien ne prouve mieux la grâce de son éloquence que ce qu’il fit dans son consulat, par rapport aux spectacles. Jusqu’alors les chevaliers romains avaient été confondus dans les théâtres avec la foule des spectateurs, et s’asseyaient pêle-mêle parmi le peuple ; mais Marcus Othon[1], préteur, sépara, par honneur, les chevaliers de la multitude, et leur assigna des places distinctes, qu’ils conservent encore aujourd’hui[2]. Le peuple se crut offensé par cette mesure ; et, lorsqu’Othon parut au théâtre, il fut accueilli par des huées et des sifflets ; mais les chevaliers le couvrirent de leurs applaudissements. Le peuple redoubla ses sifflets, et les chevaliers leurs applaudissements. De là on en vint réciproquement aux injures ; et le théâtre était plein de confusion. Cicéron, informé du désordre, se transporte au théâtre, et appelle le peuple dans le temple de Bellone : là, il adresse aux mutins de sévères et persuasives remontrances ; et le peuple, retourné au théâtre, applaudit vivement Othon, et dispute avec les chevaliers à qui lui rendra de plus grands honneurs.

Cependant la conjuration de Catilina, frappée d’abord de stupeur et de crainte, avait repris courage : les conjurés s’étaient assemblés, et s’étaient mutuellement animés à mettre la main à l’œuvre avec plus d’audace encore,

  1. Cicéron, dans le pro Murena, le nomme Lucius Othon, et non point Marcus.
  2. Les quatorze premiers gradins du théâtre : les sénateurs étaient dans l’orchestre.