Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/553

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

délices, mais qu’elles naissent plutôt d’un naturel bas et vicieux, qui se laisse entraîner à de fausses opinions. Ni l’or, ni la pourpre, ni les pierreries dont il était couvert, et qui montaient à douze mille talents[1], n’empêchèrent Artaxerxès de supporter le travail et la fatigue comme le dernier des soldats. Il descendait de cheval et marchait le premier dans des chemins montueux et difficiles, chargé de son carquois et de son bouclier. Les soldats, témoins de sa force et de son ardeur, devinrent si agiles eux-mêmes, qu’ils semblaient voler plutôt que marcher ; car on faisait par jour plus de deux cents stades[2]. En arrivant dans une de ses maisons royales, dont les jardins, admirablement ornés, étaient entourés d’une plaine nue où l’on ne découvrait pas un seul arbre, Artaxerxès permit à ses soldats d’abattre les arbres de son parc, sans épargner les cyprès et les pins, afin d’adoucir la rigueur du froid. Voyant qu’ils hésitaient à couper des arbres dont ils admiraient la grandeur et la beauté, il prit lui-même une hache, et abattit le plus grand et le plus beau. Alors les soldats coupèrent du bois à leur aise, allumèrent de grands feux, et passèrent une nuit commode.

Artaxerxès rentra dans sa capitale, après avoir perdu un grand nombre de ses meilleurs soldats et la plupart de ses chevaux. La pensée qu’il conçut que le mauvais succès de cette guerre devait lui avoir attiré le mépris des courtisans, lui rendit suspects les premiers d’entre eux : il en sacrifia plusieurs à la colère, et un plus grand nombre à la crainte ; car cette dernière passion est la plus sanguinaire chez les tyrans, au lieu que le courage rend les hommes doux, humains et inaccessibles au soupçon. Aussi voyons-nous les animaux timides et craintifs plus difficiles à adoucir et à apprivoiser que les animaux cou-

  1. Plus de soixante-dix millions de francs.
  2. Environ dix lieues.