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d’âne pour soixante drachmes[1]. La table même du roi vint à manquer ; et il ne restait que peu de chevaux, parce que les autres avaient été mangés.

Dans cette situation fâcheuse, Tiribaze, que son courage avait souvent élevé au plus haut rang, mais que sa légèreté en avait toujours fait descendre, et qui n’avait ni crédit ni considération, sauva le roi et l’armée. Il y avait deux rois des Cadusiens, qui campaient séparément : Tiribaze, après avoir communiqué à Artaxerxès le projet qu’il avait formé, alla trouver l’un d’eux, et envoya son fils en secret vers l’autre. Tous deux trompèrent le roi auprès duquel ils étaient allés, en l’assurant que l’autre avait envoyé à Artaxerxès des ambassadeurs pour traiter de la paix et faire alliance avec lui. « Si tu es sage, disaient-ils à chacun, hâte-toi de prendre les devants, et de traiter avec Artaxerxès : je t’aiderai de tout mon pouvoir. » Ajoutant foi à ces paroles, et persuadés, chacun de son côté, qu’ils se portaient envie l’un à l’autre, les deux rois envoyèrent des députés vers Artaxerxès : les uns partirent avec Tiribaze, les autres avec son fils. La durée de cette négociation commençait à donner à Artaxerxès des soupçons contre Tiribaze, et déjà on le calomniait ; le roi se repentait même de la confiance qu’il lui avait accordée et s’en chagrinait, et les envieux de Tiribaze profitèrent de cette occasion pour l’accuser ouvertement ; mais, sur ces entrefaites, ils arrivèrent, lui de son côté, et son fils de l’autre, suivis chacun de députés cadusiens. Le traité fut conclu, et la paix faite avec les deux rois.

La fortune de Tiribaze devint alors plus brillante que jamais ; et le roi le prit avec lui sans retour. Artaxerxès prouva, dans cette occasion, que la mollesse et la lâcheté ne sont pas, comme beaucoup le pensent, l’effet du luxe et des

  1. Environ cinquante-quatre francs de notre monnaie.