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de faire le procès à qui ils voudraient, de bannir à leur volonté, d’établir des colonies, de prendre de l’argent dans le trésor public, de lever et d’entretenir toutes les troupes dont ils auraient besoin. Aussi la loi eut-elle pour appui les personnes les plus considérables de Rome, et tout le premier Antonius, le collègue de Cicéron, qui espérait d’être un des décemvirs. On croit qu’il n’ignorait pas les desseins séditieux de Catilina, et qu’il n’eût pas été fâché de les voir réussir, car il était accablé de dettes. C’était là surtout ce qui effrayait les bons citoyens.

Cicéron, pour prévenir ce danger, fit décréter à Antonius le gouvernement de la Macédoine, et refusa pour lui-même celui de la Gaule qu’on lui assignait. Ce service important lui ayant gagné Antonius, il espéra d’avoir en lui comme un acteur à gages, qui jouerait, d’accord avec lui, le second rôle dans une entreprise où il s’agissait du salut de la patrie[1]. Antonius conquis et apprivoisé, Cicéron se sentit plus de hardiesse et de force pour s’élever contre ceux qui proposaient des nouveautés. Il combattit dans le Sénat la nouvelle loi, et atterra si bien ceux-là même qui la voulaient faire passer, qu’ils n’eurent pas un seul mot à lui répondre. Les tribuns firent de nouvelles tentatives, et citèrent les consuls devant le peuple. Mais Cicéron ne se laissa point effrayer : il se fit suivre par le Sénat à l’Assemblée ; et, montant à la tribune, il parla avec tant de force que la loi fut rejetée, et qu’il ôta aux tribuns tout espoir de réussir dans leurs autres projets[2] : tant il les subjugua par l’ascendant de son éloquence !

C’est de tous les orateurs celui qui a le mieux fait sentir aux Romains quel charme l’éloquence ajoute à la beauté

  1. Allusion à un usage du théâtre antique. Le protagoniste, ou acteur de premier rang, avait quelquefois à ses gages les acteurs subalternes.
  2. Voyez les trois discours sur la loi agraire de Rullus.