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qu’il répétait sans cesse en langue persique, la plupart s’ouvrirent devant lui avec respect ; mais, la tiare qu’il portait sur la tête étant tombée, un jeune Perse, nommé Mithridate, que le hasard fit passer près de lui, le frappa à la tempe au-dessus de l’œil. Cyrus perdit tant de sang par cette blessure, qu’il fut saisi de vertige, et tomba évanoui. Son cheval s’échappa, et erra longtemps dans la plaine : la housse ensanglantée qui le couvrait tomba, et un esclave de celui qui l’avait blessé la ramassa. Cyrus étant revenu à grand’peine de son évanouissement, quelques eunuques, qui étaient restés auprès de lui en petit nombre, tâchèrent de le mettre sur un autre cheval, afin de le sauver ; mais ses forces ne lui permirent pas de s’y tenir, et il essaya d’aller à pied, soutenu par ses eunuques, qui l’aidaient à marcher. Le coup qu’il avait reçu lui avait tellement étourdi la tête, qu’il ne pouvait se soutenir et trébuchait à chaque pas. Il croyait pourtant avoir remporté la victoire, en entendant les fuyards appeler Cyrus leur roi, et lui demander grâce. Quelques Cauniens[1], gens pauvres et misérables, qui suivaient l’armée du roi pour y rendre les services les plus abjects, vinrent dans ce moment, comme des amis, se mêler parmi les eunuques de Cyrus ; mais, ayant reconnu, non sans peine, à leurs cottes d’armes couleur de pourpre, qu’ils étaient des ennemis, car les troupes du roi en avaient de blanches, un d’entre eux porta par derrière un coup de javeline à Cyrus, sans le reconnaître, et lui coupa le nerf du jarret. Cyrus tombe : dans sa chute, sa tempe blessée donne contre une pierre, et il expire à l’instant même. Tel est le récit de Ctésias, qu’on peut comparer à un poignard émoussé dont il tue Cyrus à grand-peine.

Cyrus venait d’expirer, quand Artasyras, qu’on appe-

  1. De Caunus, ville de Carie.