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était, ennemi de César ; car il n’avait d’autre règle de sa haine et de son amitié que la seule justice. Tant que Dion eut la confiance du tyran, il lui rendit de grands services ; mais, dès qu’il l’eut perdue, il lui déclara la guerre : aussi ses amis ne furent-ils pas persuadés qu’après avoir chassé Denys, il n’eût pas l’intention de se saisir lui-même de la tyrannie, en leurrant ses concitoyens par un nom plus doux que celui de tyran. Mais les ennemis mêmes de Brutus disaient hautement que, de tous ceux qui avaient conspiré contre César, il était le seul qui ne se fût proposé d’autre but, depuis le commencement jusqu’à la fin de l’entreprise, que celui de rendre aux Romains leur ancien gouvernement.

Au reste, le combat que Dion eut à soutenir contre Denys ne peut entrer en comparaison avec celui de Brutus contre César. De tous ceux qui vivaient familièrement avec Denys, il n’en était pas un seul qui ne le méprisât, comme un homme qui passait sa vie dans la débauche du vin et des femmes, et dans les jeux de hasard ; mais, d’avoir conçu la pensée de faire périr César, sans craindre ni le talent, ni la puissance, ni la fortune d’un tel personnage, dont le nom seul ôtait le sommeil aux rois des Perses et des Indiens, c’est le propre d’une âme forte et élevée, et incapable de faire céder ses résolutions à nulle appréhension humaine. Aussi, dès que l’un parut en Sicile, vit-il s’assembler autour de lui, pour combattre le tyran, des milliers de citoyens : au lieu que la gloire de César soutint, après sa mort même, la fortune de ses amis, et que son nom seul éleva si haut celui qui l’avait pris après lui, que, de jeune homme qu’il était, et n’ayant presque aucune ressource, il devint en peu de temps le premier des Romains, et attacha ce nom sur sa personne comme un talisman contre la haine et la puissance d’Antoine.

Objectera-t-on qu’il en coûta de grands combats à