Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/509

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

active ; celui de Cassius supportait avec peine le changement de chef ; d’ailleurs, la houle de leur défaite leur avait inspiré de la haine et une envie secrète contre les vainqueurs : il se borna donc à tenir ses troupes sous les armes, et refusa le combat. Quant aux prisonniers, il mit à part les esclaves, qui, par leurs rapports fréquents avec les soldats, lui étaient suspects, et les fit tous mettre à mort ; et il renvoya la plus grande partie des hommes libres, disant que, déjà pris par les ennemis, ils seraient avec eux prisonniers et esclaves, tandis qu’auprès de lui ils seraient libres et citoyens[1] ; et, comme il s’aperçut que ses amis et ses officiers avaient contre quelques-uns de ces hommes un ressentiment implacable, il les cacha pour les dérober à leur fureur, et les fit partir secrètement. Or, il y avait parmi eux un mime nommé Volumnius, et un certain Saculion, bouffon de son métier. Brutus n’en faisait aucun compte ; mais ses amis, les lui ayant amenés, se plaignirent de ce que, tout captifs qu’ils étaient, ils se permettaient de les railler insolemment. Brutus, occupé de soins bien différents, ne leur répondit rien. Alors Messala Corvinus ouvrit l’avis qu’on les battît de verges sur le théâtre, et qu’ensuite on les renvoyât tout nus aux généraux ennemis, pour leur faire honte de ce qu’ils avaient besoin, jusque dans les camps mêmes, de convives et d’amis de telle espèce. À cette proposition, quelques-uns de ceux qui étaient présents se prirent à rire ; mais Publius Casca, celui qui avait porté le premier coup à César, prenant la parole : « Ce n’est point, dit-il, par des jeux et des plaisanteries qu’il convient de faire les obsèques de Cassius. Brutus, ajouta-t-il, c’est à toi de faire voir quel souvenir tu con-

  1. Aux yeux de Brutus, il n’y avait, dans le parti d’Antoine et d’Octave, que des esclaves et des prisonniers, et c’était dans le sien seulement que se trouvaient les citoyens et les hommes libres.