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et, si Dieu ne donne pas à cette journée une issue heureuse pour nous, je suis résolu de ne plus tenter de nouvelles espérances, ni faire de nouveaux préparatifs de guerre. Je me délivrerai de toutes mes peines, en re dant grâce à la Fortune ; car, depuis qu’aux Ides de mars j’ai donné mes jours à ma patrie, j’ai mené, soutenu par mon dévouement à sa cause, une vie non moins libre que glorieuse. » À ces mots, Cassius se prit à sourire ; et, embrassant Brutus : « Puisque nous partageons les mêmes sentiments, dit-il, allons à l’ennemi ; car, ou nous remporterons la victoire, ou nous ne craindrons pas les vainqueurs. » Ils s’entretinrent ensuite, en présence de leurs amis, de l’ordonnance de la bataille. Brutus demanda à Cassius le commandement de l’aile gauche, bien qu’il semblât dû plutôt à Cassius, à cause de son âge et de son expérience. Celui-ci le lui accorda néanmoins : il voulut même que Messala, qui était à la tête de la légion la plus aguerrie, combattît à cette aile. Aussitôt Brutus fit sortir des retranchements sa cavalerie magnifiquement parée, et mit son infanterie en bataille.

Les soldats d’Antoine travaillaient à tirer des tranchées depuis les marais près desquels ils campaient jusque dans la plaine, afin de couper à Cassius le chemin de la mer. César ne faisait aucun mouvement, ou plutôt son armée ; car, pour lui, une maladie l’avait obligé de s’éloigner du camp. Ses troupes ne s’attendaient pas que les ennemis en viendraient à une bataille : elles croyaient seulement qu’ils feraient quelques charges sur les travailleurs, et tâcheraient, à coups de traits, de les mettre en désordre : ne songeant nullement à ceux qui étaient campés devant elles, elles s’étonnaient du bruit qu’on faisait autour des tranchées, et qui venait jusqu’à leur camp. Cependant Brutus, après avoir fait passer à tous les capitaines de petits billets où était écrit le mot du guet, parcourait à cheval tous les rangs, animant ses troupes à bien faire. Mais le