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de Rome : ils doivent s’imputer à eux-mêmes plus qu’à leurs tyrans l’esclavage dans lequel ils sont tombés, puisqu’ils ont la lâcheté de voir et de souffrir des indignités dont le récit seul eût dû leur être insupportable. »

Quand il eut passé en Asie avec son armée, déjà nombreuse et puissante, il fit équiper une flotte en Bithynie et à Cyzique[1] ; et pendant ce temps il parcourut par terre la province, rétablissant la tranquillité dans les villes, et donnant audience aux gouverneurs. Il écrivit aussi à Cassius de quitter l’Égypte, et de le venir joindre en Syrie. « Ce n’est point pour acquérir l’empire, lui mandait-il, mais bien pour délivrer notre patrie de la servitude et pour détruire les tyrans, que nous avons rassemblé des armées : nous ne devons donc point errer de côté et d’autre ; il faut nous remettre sans cesse à l’esprit le but que nous nous sommes proposé, et ne nous en écarter jamais. C’est pourquoi, ne nous éloignons pas de l’Italie ; rapprochons-nous-en, au contraire, le plus tôt que nous pourrons, afin de secourir nos concitoyens. » Cassius, ayant goûté ces raisons, se mit en marche pour venir le trouver. Brutus alla au-devant de lui ; et ils se rencontrèrent près de Smyrne, où ils se virent pour la première fois depuis qu’ils s’étaient séparés au Pirée, pour se rendre l’un en Macédoine, et l’autre en Syrie. Ce leur fut un grand sujet de joie ; et la vue des troupes qu’ils avaient l’un et l’autre sous leurs ordres accrut de beaucoup leur confiance. Ils étaient partis d’Italie comme les plus misérables des bannis, sans argent, sans armes, n’ayant pas un seul vaisseau équipé, ni un seul soldat, ni une seule ville dans leurs intérêts ; et, après un assez court espace de temps, ils se trouvaient réunis, disposant d’une flotte puissante, d’une

  1. Ville de la Mysie, sur l’Hellespont.