Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/485

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chemins raboteux et difficiles, qu’il laisse fort loin derrière lui ceux qui portaient ses vivres. Arrivé devant Epidamne, la difficulté de la marche et la rigueur du froid lui causèrent la boulimie, maladie qui atteint assez ordinairement les hommes et les animaux qui ont beaucoup fatigué dans un temps de neige ; soit que la chaleur naturelle, concentrée à l’intérieur par le froid et par la densité de l’air, consume promptement la nourriture, ou que la vapeur subtile et incisive de la neige, pénétrant le corps, fasse exhaler et dissiper au dehors la chaleur intérieure ; car les sueurs, qui sont un des symptômes de cette maladie, semblent être l’effet de cette chaleur éteinte par le froid lorsqu’il la saisit à la surface du corps. Mais nous avons traité cette matière dans un autre ouvrage[1]. Brutus tomba en défaillance ; et personne, dans son camp, n’avait la moindre chose à lui donner. Ses gens furent contraints d’avoir recours aux ennemis : ils s’approchèrent des portes de la ville, et demandèrent du pain aux premières gardes. Ceux-ci, ayant appris l’accident arrivé à Brutus, s’empressèrent de lui porter eux-mêmes de quoi boire et manger. En reconnaissance de ce service, Brutus, devenu maître de la ville, traita avec humanité, non-seulement ces gardes, mais aussi tous les habitants, par rapport à eux.

Caïus Antonius entra dans Apollonie, et manda à toutes les troupes répandues aux environs de l’y venir trouver ; mais, quand il vit qu’au lieu de faire ainsi, elles allaient se joindre à Brutus, et qu’il reconnut chez les Apolloniates une disposition à les imiter, il abandonna la ville, et se retira à Buthrote[2], où il n’arriva qu’après avoir perdu trois cohortes, qui furent taillées en pièces

  1. Dans les Propos de table, VI, quest. 8e.
  2. Ville d’Épire, située dans une presqu’île, et où il y avait une colonie romaine.