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Telle était la situation des affaires à Rome ; mais l’arrivée du jeune César leur donna bientôt une nouvelle face. Il était fils de la nièce de César ; et César l’avait adopté et institué son héritier. Il était à Apollonie, où il suivait le cours de ses études, lorsque César fut tué ; et il attendait là que César le vînt prendre pour l’emmener à l’expédition qu’il avait projetée contre les Parthes. Mais, à la nouvelle du meurtre, il revint à Rome en toute hâte ; et là, pour s’insinuer dans les bonnes grâces du peuple, il prit d’abord le nom de César, puis il distribua à chaque citoyen l’argent que César leur avait laissé : conduite qui excita des factions contre Antoine ; enfin, par ses largesses, il attira à son parti un grand nombre des vétérans qui avaient servi sous César. Cicéron s’étant aussi déclaré pour lui, à cause de la haine qu’il portait à Antoine, Brutus l’en reprit vivement dans ses lettres[1] : il lui reprocha de ne pas craindre un maître, mais seulement un maître qui le haïssait, et que les éloges qu’il donnait à la douceur de César, et dans ses discours et dans ses lettres, n’avaient d’autre but que de se ménager une servitude moins dure. « Nos ancêtres, ajoutait-il, n’ont jamais pu supporter les maîtres même les plus doux. Pour moi, je ne suis décidé quant à présent ni pour la paix ni pour la guerre ; la seule chose qui soit bien arrêtée en mon esprit, c’est de n’être jamais l’esclave de personne : aussi je m’étonne fort que Cicéron, qui craint les dangers d’une guerre civile, ne redoute pas l’infamie d’une paix déshonorante, et ne veuille d’autre récompense d’avoir chassé Antoine de la tyrannie, que celle de nous donner César pour tyran[2]. » Tel se

  1. Ces lettres, pleines de patriotisme et d’une mâle éloquence, sont encore dans la correspondance de Cicéron.
  2. Ce n’est point une citation textuelle ; c’est comme le sommaire des lettres 16e et 17e du livre ad Brutum, adressées, l’une à Cicéron, l’autre à Atticus.