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cours, chercha à exciter davantage encore sa compassion : il prit la robe de César toute sanglante ; il la déploya aux yeux de cette foule ; il leur montra les coups dont elle était percée, et par là le grand nombre de blessures que César avait reçues. Dès lors il n’y eut plus ni ordre ni discipline : les uns criaient qu’il fallait exterminer les meurtriers ; les autres, renouvelant ce qui avait été fait aux funérailles de Clodius le démagogue, arrachent des boutiques les bancs et les tables : ils les amoncellent, en dressent un grand bûcher, après quoi ils y placent le corps de César, et le brûlent ainsi au milieu de plusieurs temples et autres lieux d’asile regardés jusqu’alors comme inviolables. Quand le bûcher fut embrasé, chacun des factieux en approche, et y prend des tisons ardents ; puis ils courent aux maisons des conjurés, pour y mettre le feu ; mais ceux-ci s’étaient bien fortifiés d’avance, et repoussèrent ce danger.

Un poète nommé Cinna, qui n’avait pris nulle part à la conjuration, mais qui au contraire était l’ami de César, avait eu la veille un songe : il lui sembla que César le priait à souper. Il refusa d’abord l’invitation ; mais, à la fin, César, le pressant et lui faisant en quelque sorte violence, le prit par la main, et le mena dans un lieu vaste et obscur, où il le suivit frissonnant d’horreur. Cette vision fit sur Cinna une telle impression, qu’il en eut la fièvre toute la nuit. Néanmoins le matin, comme on emportait le corps, il eut honte de ne pas accompagner le convoi : il se rendit donc sûr la place, où il trouva en arrivant le peuple déjà fort aigri. Dès qu’il parut, on le prit pour cet autre Cinna qui, tout récemment encore, avait mal parlé de César en pleine assemblée ; et le peuple, s’étant jeté sur lui, le mit en pièces[1].

Brutus et ses complices, craignant un pareil sort, surtout après le changement

  1. Ce poète Cinna était tribun du peuple, suivant Dion et Appien : il se nommait Helvius Cinna, et l’autre Cinna se nommait Cornélius.