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spectacles, les combats de gladiateurs ; mais ils réclament de toi, comme une dette héréditaire, le renversement de la tyrannie. Ils sont prêts à tout souffrir pour toi, si tu veux te montrer tel qu’ils pensent que tu dois être. » En finissant ces mots, il serra étroitement Brutus dans ses bras ; puis, s’étant séparés, ils allèrent chacun trouver leurs amis.

Or, il y avait un certain Caïus Ligarius[1] qui, ayant été accusé devant César d’avoir suivi le parti de Pompée, dont il était l’ami, avait été absous par le dictateur ; mais Ligarius, moins reconnaissant du bienfait qu’il avait reçu qu’irrité du danger qu’il avait couru, était toujours demeuré l’ennemi de César, et extrêmement attaché à Brutus. Brutus, étant allé le voir, le trouva malade dans son lit. « Ah ! Ligarius, dit-il en entrant, en quel temps tu es malade ! » Ligarius, se soulevant alors, et s’appuyant sur le coude : « Brutus, dit-il à son ami en lui serrant la main, si tu formes quelque entreprise digne de toi, je me porte bien. » Dès lors ils commencèrent à sonder secrètement leurs amis et les personnes en qui ils avaient confiance : ils leur communiquaient leur projet, et choisissaient les conjurés, non-seulement parmi leurs familiers, mais encore chez ceux dont l’audace et le mépris de la mort leur étaient connus. C’est pourquoi ils cachèrent leur dessein à Cicéron, quoiqu’il fût, de tous leurs amis, celui sur l’affection et la fidélité duquel ils pouvaient le plus compter ; mais Cicéron manquait naturellement d’audace ; et puis l’âge lui avait donné en outre la timide circonspection des vieillards[2], en sorte qu’il voulait, par le seul raisonnement, porter tout ce qu’on proposait au suprême degré de sûreté. Ils craignirent donc

  1. Il se nommait Quintus et non Caïus : c’est celui pour lequel Cicéron avait obtenu grâce par son éloquence.
  2. Cicéron avait alors soixante-trois ans.